Biographie

Tout autant accoucheur que fossoyeur, Laurent Fièvre est un peintre, illustrateur, sculpteur, qui exploite ouvertement des thématiques macabres afin de bousculer, d’engager une réflexion sur le parcours souvent accidenté de la vie.

Née d’un travail sur l’expressivité, sa démarche vise en premier lieu à provoquer. Au moyen de thèmes figuratifs, il aiguise les sentiments, déclenche des émotions, suscite des réactions, pour mettre le spectateur face à sa propre condition. « Chacun y trouve sa propre histoire, ses propres limites, ses handicaps et imperfections ».

Comme pour contrebalancer la dématérialisation omniprésente dans notre environnement actuel, la matière acquiert une place très importante dans ses créations. Il utilise dans ses œuvres des éléments comme le papier de soie afin d’obtenir un réalisme plus abouti de la peau. Les filaments de corde ou de tissu lui permettent de recréer certaines formes organiques naturelles au même titre que le plâtre et l’enduit rappellent la pierre.

Le sentiment de manque se dégage prioritairement dans l’oeuvre de Laurent Fièvre. Il l’exprime en amputant ses personnages, en leur retirant des sens comme la vue, la parole ou le toucher. Son but est de faire entrer en résonance les sentiments provoqués. En débusquant l’essence même de l’humanité, par le geste et l’expression de ses mutilés, il parvient à raviver des regards éteints, à dégripper des mouvements figés, à prononcer des mots inexprimables.

Beaucoup ne pourrait y voir que la peur de la mort ou qu’un aspect macabre et douloureux. Pourtant, une fois les premières appréhensions dépassées, force est de constater que c’est la vie qui, en réalité, est au centre de son travail.

Dans le cadre de ses expositions et de ses recherches artistiques, l’artiste multiplie les collaborations sur un plan international, avec des peintres, des photographes, des écrivains et des musiciens. Il a notamment collaboré avec les photographes américains Matt Lombard et John Santerineross, ainsi qu’avec l’artiste peintre Natalie Lanson ou le sculpteur Stéphane Maillaud. Ses dessins et peintures illustrent des couvertures de romans (James Osmont et Sébastien Prudhomme-Asnar) et des pochettes d’albums de musique (Psyche, Gengis, Anthares). Enfin, son travail a fait l’objet d’une monographie en 2016 intitulée « L’intimité partagée » publiée aux Editions Jacques Flament.

Laurent Fièvre is a self-taught french painter, living in France. Doctor in history of Arts he has sought, for many years, to express himself artistically, in particular through writing. By chance, almost by accident, he began painting his characters, his fellows, or critters, as he likes to call them. Born of a work on expressiveness, his approach is to provoke.

Using figurative themes, he manipulates feelings, emotions, to elicit reactions, to put the viewer in front of his own condition. He openly operates macabre themes to shake the audience and reflect on the often bumpy road of life. « Everyone finds his own story, his own limits, disabilities and imperfections ».
As if to counteract the ubiquitous digitization of our current environment, texture takes a very important place in his creations. In his works, Laurent uses elements such as tissue paper to obtain a more realistic rendering for skin.

Rope filaments allow him to create natural organic forms, as well as plaster and concrete coating are reminiscent of stone. Sometimes, in the midst of this textures explosion, the artist likes to incorporate unusual elements: torn tissues, mobile phones’ electronics, jewelery or rusty nails.
Absence is the primary feeling emerging from Laurent Fièvre’s work. He expresses it by amputating his characters, removing some of their senses, such as sight, speech or touch. His purpose is to resonate induced feelings. By flushing out the very essence of humanity through the gesture and expression of his mutilated characters, he manages to rekindle extinct looks, gazes, unlock frozen rigid movements and utter inexpressible words.

Most would not see past the fear of death, or a gruesome and painful appearance, but once the veil of initial apprehensions is lifted, it is clear that it is life, which is the true focus of his work.

As part of his exhibitions and his artistic research, the artist multiplies the collaborations on an international level, with painters, photographers and writers (Matt Lombard, John Santerineross, James Osmont). He has also illustrated the latest vinyl of the synthpop band Psyche. His work was the subject of a monograph entitled « Shared intimacy » published by Jacques Flament in 2016.

Des auteurs en parlent …

Laurent Fièvre : la vie est mon métier

Philippe Godin, auteur, journaliste
(Libération – La Diagonale de l’Art) (2015)

“La peau est ce qu’il y a de plus profond” Paul Valéry.

Présences. Ce mot résonne avec une sourde insistance au regard des créatures peintes par Laurent Fièvre. Les corps et les chairs manifestent une insistanceparfois insoutenable. Présence d’autant plus forte qu’elle est conquise dans une époque où domine le régime de la transparence dématérialisée des images à tout-va. Si la peinture de Laurent Fièvre paraît comme une variation diabolique et infinie sur le thème du memento mori, elle questionne plus que jamais l’image de la mort que l’Occident impose à ses contemporains. L’absence de rituel et de codes iconiques, de bienséances pour encadrer la représentation de la mort enfant, par exemple. Celle-ci s’intègre en temps direct dans la prolifération des images de guerre, de migrants, sans la moindre retenue au nom d’un droit à l’information débridé.

A l’obscénité de ce nouveau régime d’images, Laurent Fièvre fait de sa peinture une lutte à mort contre l’utopie de la transparence et de la fausse présence des clichés numériques. De fait, la matière acquiert une place très importante dans ses créations. Redonner un corps et une chair à la peinture de la mort, c’est sa manière à lui de sauver son âme !

Laurent Fièvre renonce ainsi à la mystification de la profondeur picturale pour donner toute sa dignité à la peau même des motifs qu’il dessine.Il recourt pour cela à des papiers de soie, par exemple, afin d’obtenir un réalisme plus abouti de la peau. En véritable dermatologue de la peinture il se place ainsi au plus près de l’épiderme de ces créatures macabres dans une proximité troublante, qui évoque parfois le travail d’un médecin légiste ou celui du conservateur d’une léproserie géante.

Des filaments de corde lui permettent également de recréer certaines formes organiques naturelles au même titre que le plâtre et l’enduit rappellent la pierre. Parfois, au milieu de ces jeux de textures, l’artiste se plaît à incorporer des éléments insolites afin d’obtenir des effets de gaufrages inédits : tissus déchirés, circuits électroniques de téléphones portables, bijoux ou clous rouillés.

La force de la peinture de Laurent Fièvre tient sûrement à ce paradoxe qu’elle ne cesse de remettre sur son métier, le motif de la mort et de la maladie, tout en manifestant une puissance de vie picturale, et un grouillement matériologique qui aurait fait la joie de Dubuffet !

Qu’elles soient peintes ou dessinées, les figures de Laurent Fièvre s’imposent donc par leur intensité plastique. Rarement des figures de monstres n’avaient manifesté une telle ressemblance inquiétante et sournoise avec notre condition trop humaine. Dans notre temps où les questions d’identité travaillent nos subjectivités inquiètes, elles viennent ajouter leur joyeux trouble à la confusion des genres.

Des monstres! Des mâles, des femelles, des androgynes, des hybrides (mi-hommes, mi- bêtes), et des enfants. Des familles de monstres et autres bestioles, cyclopes ou acéphales, toutes ces progénitures menaçantes pourraient faire trembler la norme naturelle et les catégories de l’art! Du temps de l’opprobre nazie, elles auraient, sans doute, côtoyées des êtres «défigurés» de Picasso, de Masson ou de Klee!

De fait, les personnages peints par Laurent Fièvre sont, pour la plupart, victimes de malformations physiques et suscitent moins le rejet qu’un étrange mélange de sentiments contradictoires: répulsion et fascination, peur et pitié, interrogation et parfois amusement.

Avec son leitmotiv obsédant de figures macabres, rarement un peintre n’avait porté aussi loin la délectation esthétique éprouvée au spectacle de la cruauté. Pourtant loin de n’être qu’un exercice de voyeur impénitent ou d’apologie morbide, l’art de Laurent Fièvre participe bien plus à la joie du démembrement dionysiaque chère à la peinture de Francis Bacon ou à la dramaturgie beckettienne.

La création prend ici la forme d’une exploration des figures plurielles issues de l’engendrement d’un corps arraché à ce qu’Artaud nommait la matrice du Père-Mère, et dont le travail de découpe et de cruauté traverse les audaces picturales et les expérimentations textuelles d’artistes aussi différents que Bacon, Beckett ou Burroughs.

Ainsi la cruauté des peintures de Laurent Fièvre, avec son cortège de crânes, de mutilations, de prothèses, de fœtus chloroformés, de figures informes aux visages d’énucléés, et aux jambes arrachées, n’a rien à envier aux personnages beckettiens. Sans doute s’agit-il pour ces artistes du même désir éperdu de fuite, afin d’échapper à un corps enkysté dans des représentations subies, et auxquelles on ne peut qu’opposer la rage de l’expression.De même que l’itération des visages aux orbites vides renvoie au besoin farouche de s’arracher à l’engluement dans le regard de l’autre, le mutisme des personnages de Laurent Fièvre avec leur bouches cousues fait écho à la volonté de se défaire du carcan imposé de la langue.

Laurent Fièvre s’inscrit à sa manière dans une liste prestigieuse d’artistes travaillant à fissurer l’ordonnance des figures de la « normopathie » quotidienne, aussi bien dans le champ des arts plastiques que dans celui du sens et de l’écriture ; à travers certaines œuvres de la modernité : celles d’Artaud, de Beckett ou de Bacon. Une parenté méritée !

Explorer le temps jusqu’à l’os

Jean-Henri Maisonneuve, auteur (2014)

Les œuvres de Laurent Fièvre se collent éperdument dans les recoins les plus enfouis de notre inconscient, là où siège notre désir de poétique mélancolie. Elles viennent éclairer notre peur infantile du noir, tout en délicatesse, tout en douceur.

Et ces visages, ces expressions… Vanités modernes, si l’on regarde sans s’attarder. C’est bien davantage. Du clair dans l’obscur, des textures à faces de terre, lambeaux vaporeux, voiles de l’être et chairs en symphonies de linceuls… des apparitions surgies d’un noir infini, vertigineux…

Et ces orbites démesurées, en souvenirs de regards, ces mêmes regards perçants qui ont su voir l’invisible, deviner l’insoupçonnable qui réside par delà les apparences…

Quelquefois scintillent de petits globes blancs, des yeux épuisés à l’iris bleuté : la vie subsiste derrière ce sommeil d’ossements, ces crânes aux anthropométries si caractéristiques. Une touche de rouge intervient de temps à autre sur la toile, rappelant le liquide vital qui irrigua jadis les tissus désormais brunâtres et exsangues.

Il y a du sacré dans le travail de Laurent Fièvre : rapprocher ses séries de personnages d’une certaine conception de l’icône ne me paraît pas déplacé. Une inspiration qui s’inscrirait dans un vaste héritage, aux racines immémoriales, puisant dans les origines du culte des morts, les momifications égyptiennes, aztèques ou diverses pratiques tribales…    Cependant, à sa façon, la poésie étonnante qui transpire de ses œuvres encense la vie !

Un remarquable travail sur le temps, celui qui efface et laisse des traces, celui que l’on redoute parce qu’il nous désarme dans notre éphémère enveloppe de chair ; c’est ce temps, source de création artistique éternelle, que Laurent Fièvre nous donne à voir, magistralement.

Pénétrer dans l’imaginaire de Laurent Fièvre…

Nicolas Liau, auteur (2013)

Pénétrer dans l’imaginaire de Laurent Fièvre, c’est risquer un regard vertigineux à travers un miroir sans tain dont le fond n’est plus tapissé que par un savant amalgame de larmes, de bile et de lymphe. Cette boue foisonnante est le terreau d’où se lèvent nos cauchemars les plus tenaces, les plus redoutés aussi parce qu’ils nous cueillent tout éveillés. C’est la lie de hontes, de névroses et de hantises qui, heure par heure, siècle après siècle, se dépose au tréfonds de notre humanité. L’artiste en a fait la nuance maîtresse de sa palette.

Comme échappés d’une vaste léproserie devenue atelier prolifique, les créatures décharnées conçues par le peintre ont pour cordon ombilical une longue et même chaîne de désassemblage. Retranchée et divisée, la matière humaine trouve dans les mutilations diverses le souffle de la recréation. L’artiste se fait bâtisseur de monstres, par démolitions. Mais s’il démolit, c’est à la pointe du burin. Car graver l’émotion dans le marbre des chairs suppose autant de patience que de minutie.

A la frontière du grotesque et du sublime, l’œuvre traumatique de Laurent Fièvre convoque cette part du beau sertie en secret dans le laid pour dessiner une esthétique du manque et du dépouillement. Si la ménagerie boiteuse et bringuebalante dont il est le géniteur réveille en nous ce fascinant haut-le-cœur, c’est que les contours accidentés de tous ces pauvres hères sont calqués sur les nôtres : l’horreur clinique exhibée sur la toile et le papier, comme au centre d’un amphithéâtre de dissection, est bel et bien l’expression de nos infirmités intérieures.

De l’humidité fœtale jusqu’à l’aridité cadavérique, le peintre fouille chacune des strates de l’existence pour laisser affleurer tous les maux qui fossilisent notre monde, notre vie en communauté. A la manière d’une figure de style, chaque amputation des corps sert une rhétorique de la souffrance universelle. Aveugles, muets et sourds, les suppliciés de Laurent Fièvre ne nous assaillent pas moins de cris et de regards qui disent le désespoir et viennent mordre nos âmes. Ombres d’eux-mêmes, et de nous-mêmes, ils déroulent à travers leur nudité dupliquée le nuancier brut des sentiments noirs. Car, bien que d’une blancheur calcaire, comme lapidifiée, leur peau dissimule les nerfs d’une sensibilité intacte, voire accrue. Crucifiée sous la torture du fer et du sang, leur chair finit par avouer, dans ses béances et ses moignons, dans les épanchements des fluides organiques, tous les non-dits qui musellent notre société. Anonyme et asexuée, appelant à elle tout ce que la langue française compte de préfixes privatifs, la parade de corps ankylosés que l’artiste assemble de toile en toile ne saurait se réduire au seul message social qui la traverse, à une simple visée didactique ou, pire, à des exercices de style d’un sadisme morbide. Elle est surtout l’incarnation d’un authentique désir de créer, de célébrer la richesse des sensations et sentiments humains ; le besoin de poser sur la fragilité, la vanité de l’homme un regard tendre et miséricordieux.